Le souffle et la chair

 

Tout grand art est un prisme. Il rend visible ce qui est invisible. En ce sens est stupide le mot d'ordre de Marcel Duchamp : « Non à l'art rétinien ! » surtout interprété par les artistes dits contemporains - en fait conceptuels - qui le prirent au pied de la lettre est non comme ce qu'il était peut-être, à savoir une mise en cause radicale de l'art comme simple production d'images (ou au pire, comme ce fut le cas pour l'art « catholique », d'imageries Saint Sulpicienne !).

Chez Chantal Giraud, cette métaphore du prisme se concrétise dans les pièces en verre qu'elle crée. Celles-ci, en effet, transmutent la lumière invisible en formes et en couleurs ; et ce, pas seulement parce qu'à l'instar du vitrail, le verre lui-même est coloré, mais parce que la matière même de celui-ci difracte le rayon lumineux et ajoute aux couleurs des oxydes - parcimonieusement utilisés d'ailleurs - les milles nuances de l'arc-en-ciel en ciel. Et on ne peut s'empêcher alors de penser ici aux si émouvantes annonciations de la Renaissance italienne, où ce passage du verbe - celui de l'ange qui annonce - à la chair - celle de la conception - est subtilement noté chez la plupart des artistes, par le traitement aux couleurs de l'arc-en-ciel des ailes de l'archange Gabriel.

Mais, en ce qui concerne les œuvres en verre de Chantal Giraud - et on pourrait dire la même chose de ces masques en raku - il nous semble qu'à l'image du prisme, il nous faut joindre celle de la peau. Car la peau aussi est médiation, lieu d'échange et de transformation entre la transparence de l'air et de la lumière et l'opacité colorée de la chair. En ce sens d'ailleurs toute peinture est une peau, puisqu'il faut y chercher un sens, à la fois du côté de la lumière qui l'éclaire et, en quelque sorte, derrière l'apparence qu'elle donne à voir, dans la profondeur de la matière picturale.

Chez Chantal Giraud, cette idée de peau devient particulièrement frappante, quand on visite son atelier, et que l'on assiste ou processus de cuisson des pièces. La surface plane, lisse et sans qualité de la matière première y est littéralement animée par deux interventions conscientes et par une action, non totalement contrôlée, celle de la chaleur. La première intervention est familière, c'est l'adjonction d'oxydes colorés qui sont comme les pigments du peintre, à ceci près - nous l'avons déjà noté – que le choix des couleurs est restreint au maximum, et se limite au jaune d'argent et au rouge de cuivre.

La deuxième intervention est plus remarquable : L'artiste modèle dans de l'argile des reliefs que l'on pourrait comparer à des sortes de collines, ou à la chair sous-cutanée. Mais n'y a-t-il pas correspondance entre les deux, comme nous le montre Giono comparant le mont d'Or à un sein de femme ?

La pièce, une fois cuite va garder la mémoire de cette chair sous la surface du verre et manifeste par là, tout le temps qu'elle durera (et le verre est éternel), cette mystérieuse alchimie, et, proprement, ce mystère où le souffle invisible du verbe se transforme en une réalité particulière qui a le pouvoir extraordinaire de représenter cette absence pleine de sens.

 

Alain LE METAYER
Directeur du service de Développement Culturel de la CCLDV

 

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