Construire dit-elle

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Au départ, Chantal Giraud est architecte, comme Dieu, comme Jean Carzou. Et, tout comme ses deux illustres collègues, elle ne considère pas les arts plastiques comme un délassement bien plutôt il s'agit pour elle d'un prolongement, d'un questionnement qui ne passe pas par le doute. Chantal a construit des bâtiments ; elle a aussi construit une œuvre, diverses par les moyens employés (dessin, gravure, peinture, sculpture, verre..) mais dont nous verrons l'unité. L'architecte construit un monde où les autres vont vivre. Ainsi fait l'artiste ; parler d'un architecte-artiste, n'est-ce pas un pléonasme ? Chantal a souvent exposé depuis 1981.A Manosque, dans Ia région, plus loin, très loin (à Mexico par exemple en 1997 et 2001). Elle se pose aujourd'hui pour quelques jours dans les locaux beaux et difficiles de Ia Fondation Carzou. Elle nous montre quelques aspects de son travail multiforme.

La peinture. Si Chantal, pour l'astrologie, est née cancer, sa peinture est venue sous le signe de la croix, symbole uni­versel parce que simple et inépuisable. C'est le rapprochement mais aussi la confrontation des deux directions, celle qui rase la terre, celle qui la tire vers le haut. C'est à la fois le lieu de la mort et celui d'une autre vie. Il y beaucoup de croix dans I'œuvre peint de Chantal et aussi beaucoup de diptyques et de triptyques. Le 2 engendre le 3, comme dans l'amour. De la confrontation / échange des deux éléments jaillit un troisième protagoniste qui prolonge, réunit, repousse mais surtout propose une nouvelle dynamique.

Dans le triptyque intitulé « le bleu des larmes » règne une grande agitation ; le pinceau retranscrit des turbulences alors que par le dialogue bleu/jaune (le couple de Vermeer qui dit si bien Ia calme tension de la Hollande du XVIlème siècle) s'instaure une tentation de possibles chemins, de circulations incertaines comme dans des polders inondés, de jonctions entre des lieux vides qui sont souvent au centre des croix de Chantal... Une interrogation, une absence, un appel à les occuper ? « Fais-toi vacuité, je me ferai torrent » dit Jésus à Thérèse d'Avila. On a aussi de grands tableaux aux intenses et majestueux aplats. Une sorte de paix s'empare de la toile, faite de rigueur et de symboles, Ia croix encore mais aussi le carré et le cercle, la terre et le ciel, et les couleurs essentielles parfois rehaussées d'or comme dans les icônes.

Cette constante recherche et proposition de méditation s'alimente chez Chantal à une autre source, à la richesse inépuisable de l'alphabet hébraïque. Plus haut, je proposais le triptyque comme résolution possible du diptyque ; on peut aussi bien penser les ajouter et obtenir le chiffre 5 qui correspond à Ia lettre « Hé » , c'est Ia lettre du souffle de vie, l'expression d'un cri de joie rituel, d'une libération triomphale, n'est-ce pas la lettre de Ia Création artistique ?

Il en est ainsi de tous les caractères hébraïques, à la fois dessin, son, et significations dérivées à l'infini. Chaque lettre est un monde et il est normal qu'il attire et inspire les artistes (Soulages et Garouste par exemple). Pour Chantal, chaque lettre est une personne et cela donne ces têtes enfumées, lisibles des deux côtés, une face sombre répondant à une face plus claire. Les signes qu'on peut y voir sont des symboles qui relient le haut et le bas. Ici l'artiste contrôle les quatre éléments, l'eau et la terre du potier, le feu de la cuisson et l'air qui l'a arrêtée. Ces visages doubles (ou triples) sont énigmatiques (l'exposition de Mexico s'appelait : bleu et autres énigmes). Ornés sobrement, pauvrement même de quelques traits de couleurs, ils nous proposent un regard et souhaitent le notre.

Ces têtes ne sont pas des physionomies reconnaissables, elles sont plutôt le portrait des chemins qui nous restent à faire dans le silence et l'énergie de la Création.

Et puis Chantal a continué à jouer avec le feu et ce sont les verres colorés, autre aspect de cette exposition. Le verre est à la fois une fermeture (il nous protège) et une ouverture (il nous fait voir ou deviner le monde extérieur). Mais de toutes façons, il ne peut vivre seul, il lui faut la lumière, un vitrail dans le noir fait grise mine, si j'ose dire ! Comme un piano fermé, comme un oiseau qui ne chante plus. Il a besoin de Ia lumière mais pour la transformer, il la tamise par la couleur qu'il enserre, par les rugosités et aspérités qui naissent de la volonté de l'artiste et des caprices des manipulations. La volonté de l'artiste consistant parfois à profiter des hasards. Comme pour cette belle rosace qui n'a pas voulu, après fusion, rester ronde, qui s'est adjointe des éléments orthogonaux, comme si elle avait voulu réconcilier le carré et le cercle. Elle figure ici, dans sa tranquille insolence, précédée d'une allée triomphale de verres dorés. Chantal est allée plus loin encore. Pour figurer l'Esprit qui passe et qu'on ne voit pas, pour figurer la nuée qui transfigure, elle a emprisonné de la fumée, réalisant ainsi la fusion de Ia matière et de l'immatériel. N'est-ce pas la métaphore de l'Homme, pleinement et indissolublement, fait de Chair et de Souffle ?

Au terme de cette visite, on s'aperçoit que la diversité des approches et des techniques est au service d'une démarche cohérente : Ia construction d'un parcours lent, exigeant, appelant le spectateur à la réflexion et à l'avancée. Chantal chemine avec son œuvre et nous invite à la suivre dans sa démarche. Comme ses verres, elle est le Témoin de la Lumière, de la Lumière qui l'habite et qu'elle partage.

Dans la chapelle du dessus, Jean Carzou nous propose aussi une route qui va du Champ nucléaire à la Jérusalem céleste. Avec d'autres moyens, Chantal nous offre la même chose. Et cela pourrait aussi porter le beau nom d'Apocalypse qui, en Grec, signifie Révélation.

Raymond TETART, enseignant universitaire

 

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